Rêve et EMI : les journalistes veulent-ils vraiment vous informer?

Rédigé par JC le — Publié dans Conscience/rêves, Paranormal

J’aurais pu aussi intituler ce message: «Quand une agence de presse scientifique publie un article qui prouve que ses journalistes ne peuvent pas correctement interpréter les résultats d’une étude scientifique portant sur un lien possible entre le rêve et l’expérience de mort imminente». Bref, un petit commentaire sur l’objectivité des médias et la compétence des «journalistes scientifiques Web» en ce dimanche pluvieux.

Dans mon billet Rêve et expérience de mort imminente (NDE) : des chercheurs établissent un lien, je précisais bien qu’«une personne convaincue du caractère illusoire des EMI pourra voir une confirmation de sa croyance dans les résultats de cette étude», mais que «le chercheur se garde bien d’établir un lien de causalité entre ces phases de «rêve éveillé» et les EMI (heureusement d’ailleurs car celle-ci ne permet pas de tirer des conclusions à ce sujet)», en parlant de la recherche de Kevin Nelson.


D’après une recherche effectuée dans les services d’actualités de Google et Yahoo en ce dimanche matin, le seul article en ligne portant sur l’étude qui tente d’établir un lien possible entre rêve et expérience de mort imminente (EMI en français, Near Death Experience ou NDE en anglais) était une dépêche de l’Agence Science-Presse intitulée J’étais mort, mais je rêvais. Les internautes francophones sont-ils bien servis sur le Web? Voyons voir…

Tel qu’annoncé (je sais, c’était facile à prévoir), l’auteur de la seule actualité en français parvient à une conclusion qui n’est pas supportée par les données. Il (ou elle) établit un lien de causalité directe entre rêve et EMI, et annonce triomphalement qu’on a finalement découvert l’explication des expériences de mort imminente, illustrant ainsi son incompréhension des résultats de la recherche (citation du premier paragraphe):

«Nombreux sont ceux qui aimeraient croire à ces récits de vie après la mort, au cours desquels des gens ont traversé un long tunnel au bout duquel brillait une intense lumière. Mais une expérience pour le moins déprimante vient de conclure qu’il ne s’agit de rien de plus qu’un rêve.»

Dans la suite de la dépêche, l’auteur mentionne la vraie conclusion de l’étude («les 55 patients que ces chercheurs ont interviewés et qui avaient rapporté une EMI sont également ceux qui mélangent le plus souvent leurs rêves avec la réalité»), qui ne supporte cependant pas sa conclusion personnelle énoncée précédemment, en plus de ne pas décrire complètement la nature de ces «intrusions» du sommeil paradoxal dans l’état de veille.

Croyant apporter une «preuve» supplémentaire du caractère onirique des EMI, l’auteur se permet même de mentionner l’étude montrant que des stimulations électriques au cerveau peuvent donner l’impression d’être hors de son corps. Il (ou elle) ne cite pas sa source, mais il s’agit probablement de la recherche d’Olaf Blanke, neurologue de l’Hôpital universitaire de Genève en Suisse. J’en ai déjà parlé dans le billet La stimulation électrique du cerveau peut produire la sensation d’être hors de son corps, dans lequel j’incluais d’ailleurs le commentaire d’un autre neurologue: «ceci ne démontre pas que les gens qui croient au paranormal ont tort; cela démontre simplement une façon de reproduire cette expérience».

Comment expliquer un travail aussi bâclé et un tel manque d’objectivité de la part d’un groupe qui se présente comme une agence de presse scientifique? Il y a certainement des pressions dans la production des dépêches mais, à mon avis, le facteur le plus important est probablement d’ordre psychologique: quand un énoncé semble confirmer, même très vaguement, ce que l’on croit déjà, on a souvent tendance à y voir ce que l’on veut bien. Une réaction bien humaine me direz-vous, mais où est l’objectivité dans tout cela?

Chez les anglophones, on remarque que cette étude sur les EMI a été largement couverte par les plus grands journaux et des réseaux de télévision, et que leurs propos sont beaucoup plus nuancés. Mais comme les médias doivent vendre leurs contenus et attirer l’attention des lecteurs, il arrive souvent que leurs titres soient spectaculaires, au risque d’être inexacts ou incomplets. Bref survol de quelques sites:

  • ABC News titre Neuroscientist Finds Possible Explanation of Near-Death Experiences – Mysterious Phenomenon May Be Related to Sleep Disorder (un «neuroscientifique» découvre une explication possible des expériences de mort imminente – ce mystérieux phénomène pourrait être relié à un désordre du sommeil). Déjà plus objectif par l’utilisation du conditionnel et de l’épithète «possible». Le texte de l’article indique que «certaines» EMI pourraient s’expliquer par le rêve.
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  • Chez Reuters : Sleep-wake mix-up may lead to near-death sensation (une confusion entre le sommeil et l’éveil pourrait conduire à une sensation de mort imminente). Prudence par l’emploi du conditionnel mais établit un lien de causalité qui n’est pas supporté par les données de l’étude. En fin d’article, on mentionne que le «chercheur ne pense pas que les intrusions REM [mouvements oculaires rapides ou sommeil paradoxal] pourront expliquer entièrement les expériences de mort imminente».
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  • BBC News: ‘Near death’ has biological basis – Near death experiences appear to have a biological explanation, research suggests (la mort imminente a une base biologique – les expériences de mort imminente semblent avoir une explication biologique, suggère un chercheur). Un peu décevant comme titre de la part de la BBC, mais le texte de l’article est plus nuancé, et indique que le lien possible entre rêve et EMI n’élimine pas automatiquement le fait qu’il puisse aussi exister une «dimension spirituelle», une façon de dire que ces processus biologiques n’expliquent pas nécessairement toutes les EMI.

Ailleurs sur le Web, Michael Prescott (romancier très connu et ex-sceptique) s’attaque quant à lui non pas aux mauvaises interprétations de cette recherche, mais au fait que les chercheurs auraient ignoré plusieurs arguments «prouvant» déjà que les EMI ne peuvent pas toutes s’expliquer par le rêve. Même si les chercheurs ne déclarent pas vouloir expliquer toutes les EMI par le rêve, Michael Prescott présente dans son blog une série d’arguments assez intéressants, dont plusieurs suggèrent une différence très nette entre rêve et EMI (je n’ai pas vérifié la crédibilité de toutes les sources fournies; je vous invite à lire son article si vous comprenez bien l’anglais).

Voilà. C’est tout pour ce petit commentaire qui s’avère finalement plus long que prévu. Si vous avez lu jusqu’ici, c’est sûrement qu’il pleut aussi chez vous. ;-)


Lire aussi:


7 réponses à “Rêve et EMI : les journalistes veulent-ils vraiment vous informer?”

  1. Anonyme dit :

    Comment explique-t-on que le « rêve » est commun à autant d’individus socialement différents, d’âge et de sexe différents ?

  2. Laurent dit :

    Bonjour,
    Juste une chose… lors d’une NDE ce n’est pas un rêve, mais plutôt un voyage transcendantal de la conscience :)
    Pour ce qu’il y a de commun, ce n’est pas tout en détail, évidemment.
    Ce n’est pas un film qu’on nous projette, mais il y a des similitudes quasi constantes comme le tunnel, la lumière (forme parfois différente mais lumineuse), le déplacement instantané…
    Par contre, la rencontre d’êtres proches disparus, la sensation de monter (parfois ça descend) et bien d’autres détails peuvent varier selon les NDE. On a aussi noté l’apparition, mais dans des cas plutôt isolés, du Chrit ou d’autres figures religieuses.
    Par contre, si je me souviens bien de ce que j’ai lu, le rapport au niveau social, âge, sexe ou géographique est… pas établi, en fait il n’y a pas de rapport.
    Je ne sais pas si j’ai le droit mais voilà un site qui m’a très bien renseigné sur les NDE : http://www.iands-france.org/

  3. JC dit :

    «Comment explique-t-on que le « rêve » est commun à autant d’individus socialement différents, d’âge et de sexe différents?»

    En gros, ceux qui adoptent cette approche attribuent les similitudes des expériences au fait que la structure et les fonctions du cerveau sont très semblables chez tous les individus.

    Par exemple, Susan Blackmore fait un lien entre le tunnel et la lumière des NDE, et une activité du cortex visuel. Voir par exemple http://www.outre-vie.com/vieap.....ckmore.htm

  4. Joss dit :

    Bonjour,
    Nous venons d’organiser les 1ères Rencontres Internationales sur l’EMI le samedi 17 juin à Martigues. J’ai parlé avec le Dr Sam Parnia de cette étude et, selon lui, elle ne défend pas un point de vue sceptique, mais nous n’avons pas eu le temps d’approfondir ni d’évoquer cette question dans le cadre de la conférence.
    Compte-rendu et informations sur nde30ans.
    A+

  5. Daniel dit :

    Un article à prendre très au sérieux sur les EMI, et sur ce que cela nous enseigne :

    http://lesalutparlafoi.over-bl.....-2006.html

  6. Je suis catholique et pratiquante, nous invoquons les saints pour nous venir en aide, alors nous croyons donc à la survie des âmes. Pourquoi tant de bla-bla-bla sur ce sujet. La science voudrait tout expliquer. Mais elle n’en sera toujours qu’au balbutiement, parce que plus on s’éloigne plus il y a de choses à découvrir, nous ne sommes qu’au début de la connaissance.

  7. alessandro pendesini dit :

    Bonjour à tous ! Je crois que l’ignorance et particulièrement l’obscurantisme religieux, sont à la base des problèmes majeurs de l’humain! C’est en apprenant à organiser ce que la nature nous donne à voir, à maîtriser les representations que nous en faisons, que nous pourrons comprendre les raisons de notre peur de l’inconnu et du monstrueux. N’oublions pas que c’est en apprenant à renoncer à des croyances agréables mais fausses et, d’une manière plus générale, à faire la distinction entre nos désirs et notre réalité que l’on passe de l’enfance à l’âge adulte.
    N.B. Nous devons faire confiance à la science non parce qu’elle offre des certitudes, mais parce qu’elle n’en a pas! Et parce que ses reponses, faute de mieux, sont les meilleures que nous avons pour le moment
    Bien cordialement
    Alessandro pendesini