La communication facilitée: nouveau spiritisme?
La «communication facilitée» (ou CF) est une méthode où une personne doit écrire sur un clavier, ou pointer du doigt des images, pendant qu’une autre personne lui soutient la main pour lui «faciliter» la tâche. Cette méthode a vu le jour en Australie dans les années 1980 et ses vertus «thérapeutiques» ont depuis été diversifiées aux États-Unis, le Dr Douglas Bicklen l’introduisant en 1990 pour faire parler des autistes, et en France par l’orthophoniste Anne-Marguerite Vexiau avec des enfants ou des adultes, ayant ou pas accès au langage.
Après une période d’étonnement et d’incertitude, cette pratique est désormais identifiée comme marginale et sans fondement scientifique. Et pourtant, l’engouement persiste auprès des familles qui l’utilisent et de quelques chercheurs s’interrogeant sur son mécanisme. Ainsi, l’Institut Métapsychique International (IMI) de Paris a ouvert une tribune (ou un tribunal) à Sylvie Drouot, élève de Vexiau, pour une conférence controversée le 19 septembre 2008.
Tout d’abord, il faut différencier «communication facilitée» et «psychophanie», autre terme du jargon. La communication facilitée implique que le «facilité» possède encore une coordination oculomotrice: il peut regarder le clavier et orienter consciemment son doigt, jusqu’à développer la capacité de taper à la machine une touche après l’autre, en parfaite autonomie (ou presque: le «facilitateur» peut lui mettre la main sur l’épaule pour perpétuer un lien magique).
La psychophanie est plus bien extraordinaire: nul besoin que le «facilité» regarde le clavier ou cherche consciemment à s’exprimer. Le «facilitateur» prend tout à sa charge pour faire émerger des «dimensions profondes de l’être» du «facilité».
Tout cela se complique devant les revendications de «facilitateurs» affirmant recevoir des informations par eux inconnues: par exemple, une petite fille «facilitée» dit qu’elle a mal au pied, et le facilitateur constata un saignement en lui enlevant sa chaussure. Ou, plus extraordinaire encore: le jeune garçon muet donne le message «graine de vie chez maman» alors que la mère n’avait pas parlé de sa nouvelle grossesse ni à son fils, ni à la facilitatrice.
On trouve de tels récits de messages extraordinaires tout au long des pages des livres de Vexiau et de son école. Scientifiquement, leur valeur semble plutôt nulle. Des années de recherche ont mis en évidence que les messages «facilités» ne disent jamais rien de plus que ce que le facilitateur sait déjà, et même que plus rien de cohérent n’est produit quand le facilitateur ne peut plus regarder le clavier (résumé de dix ans d’expériences négatives par Lawrence Norton). C’est une contestation claire et nette des théories sur la source et la validité de ces messages.
Pourtant, plusieurs n’arrivent pas à simplement passer leur chemin. Les parapsychologues de l’IMI semblent y avoir trouvé un double intérêt: d’une part, stimuler une recherche pour voir si les informations transmises ne seraient pas des perceptions extra-sensorielles; et, d’autre part, admirer le tissu de naïveté des tenants de la communication facilitée venant reformuler un nouveau spiritisme, ce qui vient revitaliser les travaux des psychologues et parapsychologues sur l’explication des phénomènes spirites.
L’essayer, c’est l’essayer
Passant la plupart du temps à côté des arguments scientifiques, bien qu’encourageant avec honnêteté les recherches, Anne-Marguerite Vexiau finit par avoir recours à des arguments basés sur le ressenti: une personne extérieure, qui observerait la scène d’une communication facilitée, ne peut que croire que c’est le « facilitant » qui tape et non le « facilité ». Vexiau expliquera, dans une conférence à l’Université Interdisciplinaire de Paris en 1997 (source):
«Tant qu’on n’expérimente pas soi-même la méthode, qu’on ne sent pas l’impulsion dans le bras du patient qui vous tire vers les touches, tant que celui-ci ne tape pas des mots que vous n’attendiez pas, qu’il ne vous donne pas des informations que vous ne pouviez pas savoir, il est normal d’avoir des doutes.»
Bref, le vécu vient primer sur le raisonnement scientifique.
Sauf que les tenants de la communication facilitée semblent complètement ignorer un siècle de travaux sur «l’automatisme psychologique» et la dissociation, depuis la thèse de Pierre Janet (photo ci-contre) de 1889! Celui-ci avait mis en évidence, au cours d’expériences sur l’écriture automatique, le Oui-ja ou encore la cristalloscopie (plus connue comme la divination par les boules de cristal!), que l’esprit humain pouvait se dissocier et effectuer des actions très intelligentes dans une sorte d’autonomie partielle.
Attention, ce n’est pas parce que c’est automatique que ça ne peut pas être complexe: les médiums spirites ont déjà écrit des symphonies, peint des œuvres d’art à toute vitesse, dicté des poèmes en irlandais ancien, lorsqu’ils se croyaient possédés par un esprit génial.
Vu de l’intérieur, il est effectivement très difficile d’attribuer ces gestes automatiques à notre volonté propre, surtout si on a tout oublié de nos cours d’irlandais ancien. Tout le monde en a fait l’expérience en conduisant une voiture, l’habitude prenant parfois le pas sur l’attention volontaire. Si on y réfléchit, on peut se demander qui agit vraiment, même dans cette activité incroyable qui consiste à mettre un pied devant l’autre.
Ces phénomènes d’automatisme sont à la source d’explications normales des tables tournantes, de l’usage du pendule par les sourciers, du cumberlandisme, etc. Ils expliqueraient aussi les vécus de transe des facilitants. Mieux encore, cette description est valable à la fois du point de vue du facilitant que de celui du facilité: chacun est un peu dissocié et pense que c’est l’autre qui l’aide. La relation s’enrichit de cette sorte de fusion empathique, où chacun se fond un peu dans l’autre.
La source du message
Nul doute que l’expérience est troublante pour qui n’a jamais entendu parler de dissociation psychique ou d’automatisme psychologique. On peut admettre que son pouvoir de conviction court-circuite le raisonnement scientifique. Mais les tenants ne s’arrêtent pas là et proposent tout un tas d’arguments pour justifier que, je vous jure, c’est pas moi qui écrit. (Là, ma main gauche facilite ma main droite, alors j’ai un doute…). Il y aurait par exemple une «concordance entre les mimiques faciales du facilité et ce qui est écrit»… Certes, mais n’est-ce pas le facilitant qui observe ces mimiques faciales (pouvant les traduire dans ses propres mots) et les interprètent (selon une morphopsychologie naïve)?
Il y aurait aussi le fait qu’une troisième personne (telle qu’une maman) puisse venir soutenir à son tour le bras du facilité, de telle façon qu’ils soient trois sur le même clavier – facilitant, facilité et tierce personne. Si les messages restent dans la même veine, n’est-ce pas la preuve que le facilitant n’y est pour rien?
Eh bien non. Le modèle qui explique l’automatisme psychologique avec le Oui-ja fonctionne quel que soit le nombre de participants. L’association des trois mains doit être envisagée comme un système unifié, où les individualités sont subordonnées à un psychisme collectif. Dans les pratiques de Oui-ja où tout le monde met un doigt sur le verre retourné qui formera les messages des esprits, lettre après lettre, chacun prend sa part même si personne ne s’estime pleinement responsable des déplacements du verre. Le cumul des faibles pressions exercées par les doigts de chacun suffit à pousser efficacement le verre, dans une direction qui renvoie à une intelligence collective. Le facilité n’est donc pas totalement isolé.
Plutôt que de tomber dans un extrême ou dans l’autre – dire qu’il n’y a que le facilité ou que le facilitant qui soit à l’origine des messages – on peut accepter de dire que la source n’est pas totalement localisée. C’est un entre-deux, une action collective d’individus dissociés. Ceux qui ont crié à la manipulation des plus handicapés passent à côté d’une certaine dimension des phénomènes. Et ceux qui clament offrir enfin une tribune d’expression libre pour les plus défavorisés vont vite en besogne.
On peut constater l’absurdité de cette identification de la source unique du message chez le facilité dans des variantes de la psychophanie, décrits dans les ouvrages sur le sujet: ainsi, les facilitants arrivent à faire parler les foetus encore dans le ventre de leur mère, les ancêtres, les défunts (flirtant clairement avec le spiritisme), voire les animaux! La même logique voudrait que je puisse faire parler la branche d’arbre secouée par le vent… Plus amusant encore, Vexiau témoigne avoir déjà réalisé des séances avec des patients tellement handicapés qu’elle ne leur prenait même pas la main. Assise à leur chevet, son état «d’empathie» suffisait à lui faire parvenir les messages… Certes, il reste un dernier argument, toujours basé sur le ressenti, celui de la véracité étonnante des messages obtenus dans ces conditions…
La validité des messages
Il est difficile de nier les nombreux messages révélant des informations plus ou moins inconnus du facilitant et/ou du facilité. Ils perdent seulement leur valeur lorsqu’on les prend à la bonne échelle, les noyant dans un échantillon indéfini de messages absurdes ou faux. Ces messages véridiques ne seraient-ils que des coïncidences fortuites?
Ce qu’il faut savoir, c’est que ce type de message est à la fois purifié et perverti. Purifié, car les fautes de frappe et d’orthographe sont gommés par la première lecture du facilitant, qui va répéter à haute voix ce qu’il pense lire. Imaginez aussi que le message apparaît sans aucun espace. Pour qu’il prenne une première forme, il faut un découpage des mots que fera le cerveau du facilitant, en utilisant des ressources cognitives qui lui sont propres. Un autre facilitant pourrait ne pas lire la même chose.
Après ce premier filtre en vient un second : le facilitant interprète le message, comme s’il s’agissait de métaphores ou d’aphorismes, avec une grammaire aléatoire. Le message se charge d’encore plus de significations, mais s’éloigne tout autant d’un signal physique, objet d’une communication. Enfin, quelqu’un viendra compléter le sens du message, comme les parents ou les soignants qui donneront un feedback, et ajouteront encore une couche de sens à travers leur propre réseau de significations. Et il y en a qui s’étonne que le message parvienne dans le même vocabulaire distingué que celui couramment utilisé par le facilitant, alors même que le facilité n’a jamais appris l’alphabet, ou parle une autre langue!
Prenons un exemple concret:
1) Je tape dix lettres au hasard sur mon clavier: gapohimleh
2) Je filtre une première fois en enlevant les lettres qui me semblent des fautes de frappe: gapoimle
3) Je remets des espaces pour dissocier des pseudo-mots: ga poi mle
4) Je transforme les sonorités et complète par quelques lettres: j’ai pas mal
5) J’interprète: «Alors, tu n’as pas mal ?»
Ouvrons-nous pourtant à une dimension extraordinaire: il y a bien cette fois où le message était «graine de vie dans le ventre de maman», message si pertinent et si sensé sur le coup. Comment l’expliquer autrement que par la coïncidence? Peut-être faudrait-il inclure une dimension parapsychologique, impliquant une perception extra-sensorielle. Le psychologue et médecin Hans Bender avait prolongé le travail de Janet en montrant, dans sa thèse de 1936, que les états de dissociation facilitaient les perceptions extra-sensorielles.
Au milieu de tout le blabla automatique, il y a ponctuellement des informations incongrues. Bender utilisait un appareillage simulant un Oui-ja, mais enregistrant automatiquement les réponses alors que les données à deviner se situaient hors du champ de perception de l’individu. Les métapsychistes Richet et Warcollier avaient mis au point des appareils similaires. Les parapsychologues ont toujours été friands de ces psychotechniques entraînant des états seconds où la perte de contrôle consciente s’accompagnait d’une plus grande réceptivité subconsciente. Toutefois, en l’état actuel, aucune donnée expérimentale ne semble nécessiter une explication parapsychologique. Aucun protocole vraiment serré ne semble avoir été mis en place pour tester cette hypothèse.
Faisant fi de toute prudence, les tenants de la communication facilitée spéculent allègrement, recrutant toutes les pseudo-hypothèses à la mode: mémoire cellulaire, vies antérieures, incorporats, transmission électrique par la peau, latéralisation cérébrale inversée, empathie neuronale…
Un nouveau spiritisme?
Le facilitant se présente aisément comme un intermédiaire, un médiateur, bref, un médium. Il obtient des messages qu’il attribue à des sources extérieures à lui-même, se faisant posséder par un message dont il n’est que le porte-voix. Certes, il n’est plus vraiment question d’entités en provenance de l’au-delà, respectant à la lettre la codification d’Allan Kardec. Cependant, il reste des doctrines stupéfiantes et une idéologie commune : les facilitants permettent l’expression des sans-voix, piochant dans les profondeurs.
Ce discours s’insère dans une large critique du circuit médico-psychologique qui a tendance à considérer les patients déficitaires comme des cas sans issues, pour lesquels un traitement psychologique, voire une simple relation passant par le langage, ne seraient que superficiels. Les tenants de la communication facilitée optent pour un re-cataloguage de plusieurs patients, faisant fonctionner l’espérance dans la plaine du désespoir. Ils viennent changer l’image que l’on se fait de tous ces patients handicapés, autistes, trisomiques, en leur injectant un nouveau potentiel. Les évaluations de l’effet clinique de cette technique sont d’ailleurs les seules à montrer encore quelques signes de réussite. Pour tout cela, cette idéologie suscite toujours de l’engouement, malgré les échecs sur le plan scientifique et les dérives possibles.
Il y a tous les ingrédients pour que la communication facilitée, et plus particulièrement la branche de la psychophanie, deviennent un nouveau spiritisme. C’est si facile d’essayer cela chez soi, de mettre à tribut ses enfants ou ses neveux. (Lâche ma main, lâche!) Si les planches de Oui-ja sont au placard et que les lettres du Scrabble prennent la poussière, qui n’a pas devant lui un clavier d’ordinateur? Ajoutez à cela l’ignorance générale des données de la psychologie et de la parapsychologie concernant les «automatismes psychologiques», et vous comprendrez que les adeptes se multiplient, l’épidémie se propageant de ressentis en ressentis, de vécus en vécus. En son centre, une expérience psychologique originale prise dans une polarité culturelle, entre vice et vertu.
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Oui, non, peut être
Bien entendu aucun paranormal à mon avis dans cette technique quoi que, si les esprits n’y sont pas pour quelque chose, le notre y est probablement pour beaucoup.
Prenons un crayon et dessinons sans dessiner.
De Paul à Jacques en passant par Marie on peut être à peu près sûr que les « dessins » ne seront pas les mêmes.
Laissons le crayon et sifflons à la place: même chose !
Prenons maintenant une bonne bouteille de vodka et mettons nous à chanter …
Le résultat de n’importe quelle opération est toujours conditionnel au conscient ET à l’inconscient.
Grace au deuxième facteur on peut faire ressortir certaines informations sur l’individu. Du para-normal en apparence mais loin d’être inutile si l’on traite intelligemment ces données.
Le problème est le suivant: quelle personne est capable d’interpréter correctement les signes ou, si vous préférez, quelle sera la part d’autosuggestion dans le rapport fait ?
La thèse de Janet sur les automatismes et la dissociation reste…une thèse, une tentative d’explication de phénomènes dits paranormaux qui veut exclure tout élément extérieur au psychisme. Que l’individu puisse effectuer des taches intelligentes dans un état’ dissocié’ n’est qu’une constatation. C’est cet état dissocié qui peut être discuté. D’un point de vue objectif, la dite dissociation ne peut pas apparaître autrement, l’individu faisant une chose alors qu’une autre partie de lui-même fait autre chose. Constat qui peut ignorer bien des choses.
Cette thèse de la dissociation n’est pas plus scientifique qu’une autre thèse faisant appel aux esprits. Ce domaine de la psyché relève effectivement du vécu, comme le dit A-M Vexiau et lorsque la science veut analyser l’esprit, elle en est incapable à part le fait de le soumettre aux statistiques. Il y a trop de variance d’un individu à l’autre pour établir des modèles dans ce genre d’expérience. L’événement rare, même vrai, sera écarté, par la toute puissante statistique.
Bonjour André P.
je ne peux qu’être en désaccord avec vous. La thèse de médecine de Janet n’est pas un simple travail théorique d’universitaire, mais un examen approfondi basé sur une pratique largement reconnue par ses pairs. L’avez-vous lue ?
De même, vous semblez méconnaître la littérature scientifique sur la dissociation, qui est énorme. Que vous la mettiez sur le même plan que la croyance aux esprits, je ne vois pas comment cela pourrait tenir la route. Qu’apportez-vous qui irait dans ce sens ? Qu’est-ce qu’ignore la dissocation, du point de vue psychologique ? Vous semblez dire que l’expérience subjective est « plus réelle » : je ne dis pas le contraire. Je dis juste que ce n’est pas « plus vraie ».
C’est aussi bien méconnaître la psychologie que de réduire toutes les approches de l’esprit humain à l’application de modèles statistiques. Cependant, il est vrai que la prise en compte de la singularité et des exceptions importe à une minorité des psychologues (notamment les cliniciens pour des raisons thérapeutiques).
Cette pratique charlatanesque a été déjà dénoncée de nombreuses fois. Voir ici l’analyse détaillée et sérieuse :
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article743
C’est très intéressant toutes ces discussions et lectures, mais selon moi, la phrase essentielle ici est bien la suivante: « le vécu vient primer sur le raisonnement scientifique ». Bien sure! C’est toujours le cas, dans tous les domaines de la vie!
La science n’est pas le seul outil de compréhension du monde.